Depuis trois générations, en Haute-Auvergne, la ferme Pradel produit des fromages bio à base de lait de vache : cantal AOP de fabrication ancestrale, tomme fraîche de Cantal, saint-nectaire AOP et tommes de pays. Tout est traditionnel, bio, fermier et certifié « lait de foin ». Lait cru, bien entendu.
En 2006, Sébastien Pradel, qui vient de quitter l’armée de l’air, reprend la ferme de ses parents à Neussargues-Moissac, en Cantal, près du col de La Fageole. Maintenant, ses parents sont à la retraite et Sébastien exploite seul cette ferme laitière de soixante-dix vaches de races jersiaise, prim’holstein et montbéliarde. « Le pilier fondamental de l’élevage laitier, explique Sébastien, c’est l’alimentation. Mes vaches ne mangent que de l’herbe et du foin produit sur l’exploitation. Jamais d’ensilage. »
Depuis peu, en plus des certifications bio et fermière et de son usage exclusif de lait cru, l’exploitation de Sébastien détient le label STG (Spécialité Traditionnelle Garantie) Lait de foin, label européen certifiant que les animaux d’une ferme productrice consomment exclusivement de l’herbe et du foin produits sur la propriété, ainsi que le label HVE (Haute Valeur Environnementale), parfois critiqué comme parent pauvre du bio, mais qui présente sur beaucoup d’autres labels (y compris le bio) l’avantage de porter sur l’ensemble d’une exploitation et sur des détails non pris en considération ailleurs.
Sébastien Pradel s’est tourné vers le bio par inclination, mais aussi par obligation : « Il était impossible de travailler en mode industriel à cause de la crise laitière. Et comme ce type de production était déjà prépondérant dans mon secteur, je suis passé au bio. Qui souhaite devenir agriculteur doit avoir un projet de diversification pour évoluer et durer. Or, comme nous faisions du fromage depuis plus de trente ans, j’ai choisi d’axer la production sur la qualité. »
Il y a quelques années, Sébastien s’efforçait de récupérer, pour une partie de ses fromages, l’Appellation d’origine protégée, qu’il avait abandonnée en 2012. S’il avait délaissé l’AOP, c’était pour lutter contre la standardisation du produit qu’exigeait ce label, dont le cahier des charges autorisait des substances — acidifiants, levures exogènes, calcium — qu’il juge indésirables. Pour cette raison, ses meilleurs cantals se sont pendant quelque temps appelés « volcan » et son saint-nectaire « tomme de montagne ». Paradoxe : ces fromages traditionnels changeaient de nom parce qu’ils étaient plus authentiques… et plus traditionnels.
Parallèlement à ces certifications, Sébastien a soigné le terroir de sa ferme en créant et entretenant son paysage : il a désormais douze kilomètres de haies et trois kilomètres de murets, préservateurs de la biodiversité des herbages cantaliens.
Il faut garder à l’esprit que le cantal de la ferme Pradel est ce que ce fromage devrait être, aurait dû rester et n’est pratiquement plus. « C’est un fromage ancestral, fabriqué naturellement. Il ne contient que du lait, de la présure indigène et du sel. C’est le fromage tel que je l’ai appris, un produit vivant qui réagit au temps qu’il fait. Si le temps est orageux, il “travaillera” beaucoup plus vite ; mais s’il contient des additifs, les influences naturelles ne peuvent plus s’exercer. »
Donc, exit le Volcan, welcome back le cantal, vendu à divers stades d’affinage — et bienvenue aussi à un saint-nectaire particulièrement riche et rustique, lui aussi de retour dans l’AOP.
